De 1960 à aujourd’hui, la caricature politique et sociale a été concentrée sur quelques revues, essentiellement construites autour des mêmes artistes, remarquables, tant par leurs styles très marqués, que par leur culture et intelligence politique.
Fred, Wolinski, Gébé, Cabu, Reiser, Siné, Bretecher, Charb, Tignous, Honoré, Willem, Riss, Vuillemin, Luz, Coco, Meurisse, Sattouf, ont construit un univers mental et artistique unique combinant un humanisme désespéré ( le rire étant la politesse du désespoir) et une très grande sensibilité aux travers de notre monde.
Critiques des dérives consuméristes, aliénantes et environnementale du capitalisme comme de toutes les sociétés productivistes, ces artistes sont aussi rebelles à toutes les formes abusives d’autorité.
Derrière un sexisme apparent de certaines planches ( Reiser, Wolinski par exemple), il y a une réelle sensibilité anti-patriarcale car anti-autoritaire. De même, toutes les religions sont dénoncées, essentiellement selon l’angle des oppressions sexistes, en plus de m’obscurantisme.
Une grande partie de ces auteurs (trices), furent aussi rassemblés dans le journal Pilote, fondé par Goscinny, ainsi, le lien entre littérature et jeunesse et dessin de presse pour adultes est établi en continu ; le meilleur exemple en étant bien sur Cabu.
On peut aussi rappeler la virtuosité de tous ces dessinateurs, dont les qualités graphiques sont évidentes et spécifiques, tout comme leur regard sur les anatomies, les postures, les tics de société (« la vie secrète des jeunes de Sattouf, les frustrés et les Mères de Brétecher, etc..).
On notera comme une exception le trait inventif de Willem, comme son travail dur les ombres et le modelé, unique et d’une grande puissance expressionniste. Willem, tenant d’ailleurs une sorte de chronique des recherches graphiques de la presse underground, depuis des années dans Libération.
Ainsi, en exécutant , en janvier 2015, cinq de ces dessinateurs exemplaires et emblématiques de notre culture politique et artistique, les obscurantistes fanatiques, assassinant au nom d’un islam fantasmé, ont détruit un état d’esprit unique.
Ces caricaturistes-journalistes-chroniqueurs étaient capables d’exiger une lecture fine de leur dessins, exigeant une capacité de subtilité autour de valeurs communes, afin de ne jamais prendre leurs apparentes provocations au pied de la lettre. Les meilleurs exemples, étaient déjà deux de Gébé sur l’antisémitisme, et furent aussi ceux de Cabu, Tignous, Charb sur l’ Islam avec le fameux » c’est dur d’être aimé par des cons » de Cabu. Le présupposé de cette virulence étant que nous sommes capables de « faire société ».
Hélas, après l’attentat de Charlie, suivi de l’ Hyper-Casher, du Bataclan, de Nice, des assassinats de professeurs, il est clair que les crispations identitaires sont mortifères et dangereuses à l’extrème.
Cabu déjà pointait cette disparition de l’humour autour de ces fameuse « identités », dans son dessin » peut-on rire de tout », dans lequel, du RAP aux Chefs étoilés, en passant par les boxeurs, les fanatiques du nucléaire et les religieux, il devient évident que le sens de l’humour, qui doit commencer par l’ autodérision ( « celui qui sait rire de lui même, n’a pas fini de s’amuser »- proverbe « chinois ») est en chute libre.
Certains artistes de Charlie tentent encore, mais il est difficile de continuer après le massacre.
Pire encore, nombreux ont étés ceux qui, implicitement ou explicitement, ont reproché à Charlie d’avoir insulté ou provoqué…d’avoir en quelque sorte justifié la violence de « populations insultées ».
C’est encore l’exemple navrant du dernier dessin de Coco, sur Gaza en novembre 2024, qui lui valut les foudres de quelques députés ( dépités) de LFI, incapables de comprendre la subtilité d’un dessin de presse, ignares et barricadés dans leur démagogie envers l’obscurantisme islamiste, au nom d’une défense aveugle des palestiniens, assimilés ( malgré nombre d’entre-eux) à un islamisme radical et liberticide.
A noter cependant, quelque espoir du côté de la critique hilarante et acerbe du masculinisme toxique et du virilisme contemporain, par Luz et Sattouf, comme l’émergence de grandes caricaturistes comme Coco et Catherine Meurisse, qui entre autres, féminisent le regard longtemps trés genré de l’exercice de caricature.
















































































