Notes sur les rapports de Duchamp à Vinci
Très tôt, les regardeurs de l’oeuvre de Duchamp ont établi le lien que lui même signe par son appropriation discrète ( révélée tardivement) de la Joconde. On doit bien sûr citer les textes de Jean Clair, dans le catalogue de l’expo 1975 à Beaubourg ainsi que lors du colloque de Cerisy en 1977 et dans son dernier livre « sur Marcel Duchamp et la fin de l’art » ( ed. gallimard-2005).
Le texte suivant est en cours de rédaction et sera modifié progressivement par des développements. Les développements en question sont à lire sur l’article Duchamp-point…..
Cours présenté aux ateliers d’ Histoire de l’art de l’Université Paris Sud, à Orsay et au CHU du Kremlin Bicêtre, 2011-2012.
Le ready-made de Duchamp L.H.O.O.Q est connu comme un acte d’humour, de bouleversement esthétique ; un geste d’appropriation d’une œuvre emblématique de la tradition picturale. Ce ready-made est hélas souvent réduit à une provocation potache contre l’icône des « intoxiqués de la térébenthine » ( formule de Duchamp), L.H.O.O.Q .1, mérite un décodage plus avancé., Figure 1
D’autant plus que des liens plus ou moins explicites de Duchamp sont très forts et témoignent d’une vaste connaissance et d’une lecture très avancée de Vinci par Duchamp.
Il y a une esthétique duchampienne, celle du Champ du signe 2 ; toute œuvre pénétrant ou étant introduite dans le champ de polarisation sémantique de Duchamp prend sens spécifique. Il est en ce point comparable au Don Quichotte expliquant clairement à Sancho Pança, que tout signe intervenant dans son quotidien est compris par le filtre de son regard de chevalier errant. C’est ainsi que le plat à barbe devient un haume, les moutons des armées …..Cervantes invente les ready mades. Don Quichotte de l’identité sexuelle et du genre.
Marchand de sel ; grand fictif , ingénieur du temps perdu…3
MARiée – CELibataire etc…l’essentiel est dit.
Genres
Le domaine du masculin et du féminin ; les relations de genre…Qu’en est-il du masculin avec Rrose Sélavy Figure 2– Duchamp ( maquillé et photographié 2 fois par Man Ray4) . Duchamp en femme et Mona Lisa en Homme.
Qu’en est-il encore du féminin entre la jeune fille, la mariée et la veuve ?
Jeune femme du Buisson Figure 3 , Mariée Figure 4, thème récurrent, et veuve de l’oeuvre Fresh Widow ( signée Rrose Sélavy) Figure 5 ….
Le champ des tensions va donner sens aux figures et objets, figures et formes introduits dans le champ de sens que sont les galeries, musées, expositions.5
Mais avant de développer, il faut faire un retour sur Vinci.
La question du genre…
Léonard de Vinci lui même sera dans l’ambiguïté ; dandy barbu ( il n’a pas toujours été le sexagénaire de son autoportrait) entouré de ses mignons et protégé, musicien et poète, vêtements d’un luxe et d’un raffinement tapageur. Accusé de sodomie…il cultivera ces ambiguïtés de genre essentiellement dans ses peintures fusionnant les corps et visages : superposer les visages de Anne – Marie – Bacchus – St Jean – Mona Lisa Figure 6 est convainquant de ce point de vue.
De même, l’absence remarquable de pilosité chez Jean Baptiste, rompt avec toute tradition, car il est d’habitude représenté hirsute, hâve, barbu, les muscles nerveux et saillants.
Absence de cils, de sourcils, de musculature; peaux lisses et corps pleins, yeux en amande – sourire posé – sérénité cathartique trouvée dans l’absence de tension intérieure.
La fusion des genres et des tensions est traduite par la fusion des corps dans l’espace lumineux du sfumato, passant en douceur de la pénombre à la lumière, du proche au lointain.
Mona Lisa , vêtue de sombre ; Gioconda, joyeuse en italien; veuve joyeuse qui sourit…
Double
Mais Léonard est double, Hyde et Jekill. Le Vinci platonicien et absolu, est celui des spéculations sans limites; de la confrontation aux infinis. Déduire tous les possibles ouverts par les logiques; faire naître, l’ ingénieur est bien celui là. Hélices, vis, engrenages, structures.

Superposition ( par l’auteur de l’article) de Mona Lisa et de l’anatomie féminine,l’ensemble en négatif,telle une radio, révèle comme la double nature de Vinci ; Duchamp a perçu évidemment cette double vision complexe sur les corps.
De l’autre observation des phénomènes les plus ténus et ouverts: nuées, flots, tourbillons, tremblements, vents, courants, vagues ; observation des limites du vivant : dissection des cerveaux, des yeux, articulations et veines ; mais encore, sexes, pénis, vagins et utérus ; plus loin encore dans l’étude, coupe de fœtus et de coït, avec vaisseaux, turgescences et canaux divers.
Autant l’idéal est fusionnel en peinture pour Léonard de Vinci, autant l’observation est physique, séparée, dissociée, disséquée, clivée ; opérée par le travail du trait, de la plume; de la ligne qui désigne. Vinci écrit dans ses carnets, qu’autant il doit être seul pour peindre, acte de création et d’inspiration élevée, autant il peut être entouré pour l’acte du dessin, de connaissance objective.
Il travaille l’accident et la particularité jusqu’aux caricatures ; le monde ici présent par le dessin et l’écriture, les mécaniques du vivant ; le monde au delà par la peinture, la lumière et la géométrie des compositions.

Extrait du Codex Huygens deLeonard de Vinci, folio 22, étude de corps en mouvement….Les préoccupations et même le graphisme de superpositions et pointillés, si proches…Vinci/Duchamp
Léonard de Vinci aura peint une annonciation, (la jeune fille), puis la vierge à l’enfant (aux rochers- la jeune mère-mariée), puis la Sainte Anne au corps fusionnant (la femme mûre) puis la femme seule, en noir, Mona Lisa ( Gioconda-joyeuse).
Paradoxes
De Vinci, mathématicien éclairé, illustra la Divine proportion de Luca Paccioli ( dessins perdus) mais il n’usa pas des mathématiques comme vecteur de la sublimation6 ; il ne fut pas un réel néo-platonicien/pythagoricien , lequel se fut contenté de la musique et des spéculations abstraites ; Freud suggère d’ailleurs qu’il y a chez Vinci justement un frein d’ordre psychanalytique à ne pas pouvoir se détacher autant du réel. Pour Vinci, les mathématiques pures ne sont pas une voie d’accès au sublime, bien qu’il en fasse grand cas, bien qu’il fut aussi musicien fort habile ( puisque c’est ainsi qu’il se fit connaître auprès de Ludovic le More de Milan).7

L’homme de Vitruve par Vinci, on souligne ici la place des deux centres, celui du carré et celui du cercle. L’ordre géométrique qui préside aux proportions humaines, signe d’une mécanique.
Il utilise les mathématiques comme outil de mise en forme, comme outil de composition de ses œuvres ( toutes construites selon la tradition de la Renaissance des cercles-carrés-triangles équilatéraux et pentagones). L’homme de Vitruve Figure 7 prouve l’union intime du cercle ( dont le centre est le nombril) du carré ( dont le centre est le sexe) et de la divine proportion ( le nombril étant le nombre d’or)….
Il utilise encore avec science la géométrie dans ses recherches et théorisations de la perspective artificielle ( selon Alberti). Il multiplie les ébauches, les croquis et les études et calculs ; il est l’un des meilleurs théoricien des points de distance ( à gauche et à droite du point de fuite central, ils définissent l’angle de vue, le champ de vision et permettent la réduction proportionnelle des quadrillages, des damiers).
Paradoxe donc, car Léonard de Vinci, architecte, topographe, perspectiviste, n’usa jamais de ses connaissances de perspective dans ses œuvres peintes où pas un carrelage, pas une architecture, pas une ville, pas un bâtiment ne sont visibles, à l’exception, et pour cause de la seule fresque « in situ», la Cène de Milan ou l’espace architecturé est prolongé, simplement, avec des partis pris évidents de prolongation de l’espace réel donné, celui du réfectoire, de la porte, des voûtes etc…Il utilise là, de manière évidente la valeur symbolique-christique du point de fuite sur la tête de Jésus, seul sur fond céleste…lien évanescent du ciel et de la terre, point de rencontre et principe structurant…).8

La fameuse Cène de Milan, où Vinci assigne clairement la valeur symbolique évanescente et centrale du point de fuite à la figure de double nature de jésus. Céleste et terrestre, humain et divin, mortel et éternel etc..
Il y a donc une tension permanente chez Léonard de Vinci entre le réel fascinant et riche mais trivial et imparfait et les idéaux philosophiques, esthétiques, religieux et érotiques. Il reste néanmoins un plasticien, c’est à dire un artiste ordonnant une matière tangible, de la terre colorée ( c’est la peinture à l’état de chaos) vers une illusion lumineuse ; cette transubstantiation de la matière passe par la maîtrise résolue et obsessionnelle des procédés et gestes ( Vinci est fameux pour faire disparaître toute trace de son geste pictural- fondu dans la peinture encore fraîche).

Adoration des mages, dessin préparatoire de Vinci pour une peinture jamais réalisée..et pour cause, il ne pouvait et ne voulait pas peindre un espace mesuré et ordonné. On repère par contre une précision hallucinée de la structure sous-jacente en perspective.
Vinci est l’artiste de peu d’œuvres abouties ( une dizaine); comparé à Michel Ange qui en autant de temps sculpta à tour de bras et explosa en peinture. Sa seule sculpture, monumentale et défiant les échelles habituelles la statue équestre de Ludovic, reste inachevée, infaisable. Une autre fresque, en rivalité avec Michel Ange reste aussi inachevée ( la bataille d’ Anghiari).
Obsession de la perfection, goût du secret, caprices ( nombreux pour la Cène), longueur des délais, rapport passionné aux techniques, ingénieur, obsession de la vision et du regard ( question centrale théorisée encore par Alberti et Vinci lui même comme sens supérieur car en relation avec la lumière divine et l’infini, incorruptible- tradition de Marsile Ficin, Pic de la Mirandole et même Dante auparavant).9
Proximité
Il suffirait presque de s’arrêter là pour comprendre comment les rapprochements de Duchamp et Vinci sont nombreux.
Artiste le plus intelligent du siècle disait Breton pourtant avare d’admiration, de Duchamp,.
Peintre, Duchamp le fut à ses débuts, mais aussi jusque dans le Grand-verre figure 8. Dessinateur de croquis, schémas et plans commentés de textes, flèches et plans. Il ne supporte pas les traces et gestes de peinture ; adepte d’un art « sec ».

Photographie du Grand Verre, ou l’on voit clairement la partition en 2 mondes ; l’un en perspective, masculin et terrestre, organisé par un point de fuite/point d’origine et un monde élevé et aérien obéeissant à des lois immanentes ; celui de la mariée.
Bricoleur d’objets assemblés, de détournements méticuleux ( why ot sneeze, à bruit secret, with tongue in my cheek, underwood, apolinère enameled, fresh widow, tu m’..) à chaque fois les matériaux sont choisis avec grand soin, cuir, bois, marbre, argent, poussière recueillie…) ; les meilleurs artisans convoqués, les procédés d’impressions, les supports , les dimensions, sont pensés.10
Duchamp aborde aussi clairement et souvent les dimensions incommensurables ( sa fameuse 4ème dimension : dont la troisième est une projection – conception platonicienne de la caverne), le vivant, l’identité, la durée et l’instant comme un couple polarisant , deux infinis qu’il abordera avec constance, traitant aussi bien sûr le mouvement dans l’espace et le temps, les déplacements. Il connaît les travaux des mathématiciens de son époque, notoirement Pointcarré.

Montage rapprochant les expériences et études de MD et Vinci ; formes et mouvements de même nature ; mécaniques du vivant.
Il aborde aussi la complexité de la vision ; la tension du regard, la durée du regard, le point, le trou ( pupille) par lequel passe la lumière, les illusions.
La question de la durée et de l’instant : Jeune homme triste dans un train figure 9,durée du trajet, fractionnement des instants, séquençage- pas de point de départ, pas de point d’arrivée ; figure suspendue et mélancolique, dans le cocon du couloir du wagon ; couleurs chaudes du clair-obscur.

figures 9 et 10, déplacement en profondeur dans un cas et déplacement latéral dans l’autre cas.Mais dans ces 2 œuvres, un corps suspendu,entre deux lieux ; un corps en transition, quine sort pas de son « champ ». Le corps se développe aussi dans le temps, dépassant ses limites et sa silhouette.
On retrouve dans le fameux Nu descendant un escalier figure 10, le mouvement et l’instant, mais le corps se déplace de lui même ( à l’opposé du jeune homme triste, qui est transporté) ; on ne sait d’où il vient ni où il va, ce corps est suspendu dans le champ du tableau ; il refuse de sortir « du champ » ( ! ! !) et freine, ne voulant aboutir.

Extrait du Codex Huygens, folio 22, étude de corps en mouvement….Les préoccupations et même le graphisme de superpositions et pointillés, si proches…Vinci/Duchamp
Le temps
C’est en grande partie la question du temps qui sera pour Duchamp l’expression la plus claire de ces deux pôles, la durée ( infinie-éternelle-absolue) et l’instant ( bref-relatif-accidentel-anecdotique).
Le temps est en question dans Le passage de la vierge à la mariée figure 11 ! instant bref du coït qui détermine l’avenir et donc la durée.
Dans les neufs coups tirés ( élément discret du Grand Verre) il y a le déplacement hasardeux et bref des projectiles atteignant la partie supérieure du verre, opéré par Duchamp par un petit canon à ressort ! Il y a les mètres étalons et les pistons de courants d’air, qui à chaque fois sont les confrontations de la forme théorique ( le mètre, le carré de gaze) avec l’instant, la chute, l’air, le sol, confrontations brèves qui les marque et leur donne une identité. L’instant bref, le déplacement et la durée, se retrouvent encore avec la Roue de bicyclette sur un tabouret, l’une tourne et l’autre pas.
Puis de manière encore plus obsessionnelle et éclatante, les roto-refliefs, ou la rotation des disques ne devient visible et obsédante non par le déplacement dans l’espace, mais le déplacement sur soi-même ( comme la roue) visible par les perturbations optiques, empêchant la saisie réelle des formes.
La vision est donc bien une question récurrente déductible du temps.
Le nu descendant un escalier et le jeune homme triste ( qui voit quoi) ( le Grand Verre et ses témoins oculaires et surtout et encore l’ultime Etant donné la chute d’eau où l’œuvre n’est visible que par un orifice discret, dans les vieilles planches d’une porte.
La vision désirante, frustrée car incapable de tout saisir ; confrontée à son impuissance.
La vision et le regard seront aussi au cœur des mises en scène de Rrose Sélavy, regard sur soi, regard de l’autre…
Mais il ne s’agit pas ici de refaire ou de relire tout Duchamp, nous reviendrons sur certaines œuvres par les rapprochements.
Vinci-Duchamp
Les rapprochements Duchamp-Vinci sont abordés une première fois par J.Clair, qui au colloque de Cerisy la Salle en 1977, fait une communication assez précise et argumentée. Pages 117-142 et suivantes.Pour L.H.O.O.Q,, la question de la pilosité est abordée en premier lieu. Jeu sur le genre, c’est par l’apparition d’un système pileux que se révèle le désir ; on quitte l’idéal androgyne et fusionné pour revenir au corps, sensuel et désirant. Désirant par l’expression elle a chaud au cul, mais aussi désirant et/ou désiré(e) du regard : look (lhooq). Duchamp rapporte des poils sur le visage de Mona Lisa et épile le sexe inspiré par l’ Origine du monde dans son œuvre posthume Etant donné…..
Comment ne pas voir encore cette question obsédante, dans la performance réalisée pour la Baronnesse Elsa van Freytag, avec Man Ray : la baronne rase ses poils pubiens ????
Cette artiste new Yorkaise ( Elsa – Lisa)est une pionnière du dadaïsme ; sculptrice, performeuse dans les années 1914-1920, elle réalise aussi un portrait de Duchamp ; mais elle est aussi la veuve Joyeuse ( la fresh widow) de son défunt mari suicidé. Elle est aussi celle qui inaugure la « tonte » de son crâne puis de ses poils pubiens , l’ensemble filmé par man Ray et Duchamp ; mais le film ne sera jamais achevé.
Nous laisserons de côté la dimension de ready-made ( ici rectifié) ; si ce n’est que le principe même du ready-made est de faire rentrer dans son jeu toute image, figure ou objet .
Tout ceci sera ensuite passé au crible de l’interprétation.
On sait que par deux fois Duchamp s’est travesti en femme sous le nom de Rrose Sélavy, la figure surréaliste de Eros c’est la vie, célébrée par Desnos et Breton. Approche subtile d’une mécanique célibataire du désir jouant en solitaire ; en effet, étant masculin, apparemment féminin, vu comme femme par l’autre, voyant comme homme la féminité dans le regard de l’autre ; il y a modification du schéma corporel et genré afin de pouvoir être l’objet de son propre désir . Tourner en rond, c’est une obsession de Duchamp ( roue de bicyclette- rotoreliefs – broyeuse de chocolat – moulin à eau – ronde des célibataires ….)

« Barbette », Photo de Man Ray, le grand complice de MD. le surnom de Barbette évoque bien sûr la pilosité.

Shaved de MD, produit en 1965, près de 50 ans après le L.H.O.O.Q, MD épile encore…au moment ou il installe clandestinement le corps épilé du nu de « étant donné »
Duchamp réalise aussi cette fenêtre à la française ( à l’opposé des fenêtres anglo-saxonnes à guillotine – castratrices), cette french window, vitres noires opaques, blocs fermé au lieu d’ouverture, chambranles et montants bleu-ciel, baptisée Fresh widow, c’est à dire veuve joyeuse….retour à la Gioconda, de noir vêtue, entourée de lumière, veuve joyeuse possible.
La Joconde encore…..
Une des œuvres ready made rectifié, les plus fameuses de Duchamp, est ce fameux urinoir de 1917, baptisé Fontaine et signée R. Mutt figure12.
Le principe artistique est ici le principe d’inversion.
Un objet vertical est inversé à l’horizontale.
Un objet industriel de série, devient un objet unique d’art.
UN urinoir masculin, devient UNE fontaine féminine.
Un réceptacle passif devient un bassin actif- source
Un objet souillé devient une source pure .
De plus, si l’on convient que l’inversion est le principe actif de cette action artistique, l’objet est signé R. Mutt, inversé il devient donc Mutt.R, c’est à dire Mutter ( en opposition à Water-Vater……)
Il existe une phrase étrange et dérangeante de Duchamp, qui dit : « on a que pour femelle la pissotière et on en vit »….Jacques Levine, dans la discussion au colloque de Cerisy ( op.cit, p.155) dit ceci : « cette organisation sado-maso en rapport avec la mère, c’est là qu’est l’archaïsme. Il y a un Surmoi agresssif de Duchamp. Cette phraseest queslque chose que l’on trouve très souvent, non seulement dans les analyses d’adultes, , mais également, et même à l’état brut sous la forme de paroles enfantines : « je pisserai sur ma mère ».
On retrouve R. Mutt/mutter.
Duchamp précise qu’il a baptisé l’objet urinoir ; il y a donc passage, idée de naissance. Le baptême est totalement duchampien comme principe, il s’agit bien de faire rentrer la personne dans un champ divin …………….
Encore une notion cruciale, le bassin de la fontaine devient bassin de parturition, seule os distinctif du squelette masculin et féminin.

Vinci, étude de sexe féminin…Une origine du monde à rapprocher évidemment de la Fontaine de Duchamp!!!
On ne s’étendra pas sur les orifices mis en évidence de cette fontaine sexuée.
Mais si l’on regarde bien cette forme blanche pure et galbée, on peut très bien y voir un voile de mariée ( promise à l’union et la parturition), transformée en mère potentielle.
Cette forme se superpose presque exactement à la Mona Lisa aux mains jointes et aux bras en corbeille, le voile noir et les épaules doucement abaissées. La veuve se superpose à la mariée figure 13.
Passages
Ceci pourrait sembler surinterprété, mais Duchamp, dans sa peinture de jeunesse le Buisson, avait déjà traité ce thème de la jeune vierge androgyne, à genoux, frêle et blanche, adoubée par la femme mûre, debout, aux seins et au ventre plus marqués, à la peau plus brune, aux ombres plus sombres. Ce passage obsède Duchamp ; de l’homme à la femme, de la virginité à une féminité sexuée.
Laquestion du PASSAGE est développée dans l’article Duchamp, point ligne, gaz..On retrouve les connexions entre par exemple les « moulins » et « broyeuses » de MD et la tradition du « moulin mystique » chrétien, qui transforme la matière brute en matière subtile ( thème développé par Descartes).
Une de ses œuvres de jeunesse encore et moins connue se nomme explicitement ( le titre est écrit sur le tableau) Passage de la vierge à la mariée figure11..
Duchamp joue constamment avec les mots, faisant éclater les sens, au delà des carcans du langage, des signes. Le langage crypté et inversé de Vinci semble l’équivalent du cryptage que Duchamp opère par les jeux de mots, dont le plus stupéfiant est celui qui fut le plus négligé….Je prétends donc ici, en toute simplicité révéler l’inversion de CELIBATAIRE par : ces bites à l’air...On comprendra par la suite la cohérence de Duchamp autour de ce sens crypté ; célibataire mais aussi taire c’est habile!!!! il faut savoir encore que la plupart des jeux de mots et contrepèteries sont d’ordre érotique ou trivial et que Duchamp, Apollinaire, Picabia etc….en étaient adeptes...
Mais quel est l’acte réel qui fait passer la jeune femme de vierge à mariée si ce n’est le coït même, la pénétration ?
Par pénétration et fécondation, en un instant bref ( plus ou moins…) il y a modification définitive du corps féminin, vie en puissance, durée et perpétuation de l’espèce ; flèche du temps ! ! Moment où se jouent destins et identités. Fascination/répulsion chez Duchamp, qui explique clairement à P. Cabanne sa volonté constante de NE PAS procréer ; est-ce que le soigneur de gravité est celui qui évite l’état gravide ?
Il y aura encore bien sûr, cette peinture de la Mariée, dans une manière post-cubiste et au clair-obscur rembrandtien du bœuf écorché..Rembrandt lui aussi est un grand interrogateur du corps, de l’enveloppe et aussi de la mécanique en action.( voir sur ce site le texte : la main le regard la lumière ).
Ce corps intérieur et fantasmé de la mariée est repris de manière précise dans la partie supérieure du Grand Verre.
Un autre ready made célèbre, total et non rectifié est le fameux Porte bouteille.Figure14
Acheté au BHV ; raidi-maid, figure auto-érotique.
Les cercles de métal, les arceaux évoquent les structures d’un modèle de couturière pour robes et crinolines – les figures de mannequins chères à Chirico. Cette robe de mariée est entourée de tiges dressées et obliques, phallus en érection entourant la robe. La mariée et ses célibataires. Objet masculin et féminin. La mariée et ses « b…. à l’air »!!!!!!
Vu du dessus, ce porte bouteille est la figure schématique de l’ovule entouré des spermatozoïdes rayonnant……
Par ailleurs, la bouteille absente mais suggérée, le porte bouteille étant supposé maintenir par pénétration cet objet androgyne, vagin et pénis à la fois.11,comme cette bouteille de klein.
On semble s’éloigner de Vinci, pourtant quelques dessins impressionnants de Léonard de Vinci sont clairs : dissection de l’abdomen féminin, coupe de coït et dissection d’utérus ouvert contenant un fœtus bien formé…. De même l’enquête permanente sur les âges de la vie, dans les caricatures, des Vénus aux femmes sorcières édentées et ridées.
Plus stupéfiant encore, ces études sépias se superposent aisément aux peintures de Duchamp, particulièrement l’abdomen féminin à la peinture de la Mariée ; avec un jeu de symétrie et de double, j’ai ici doublé la peinture de Duchamp en effet miroir ( axe vertical) et superposé le croquis de Vinci ; on retrouve les mêmes obliques, les mêmes tendons, organes, poches, vaisseaux, canaux mystérieux, enfouis dans un ventre chaud. Véritable alchimie du vivant qui transforme le plomb de l’organique en vie animée. Figure 16
les inversions et négatifs sont l’origine des feuille de vigne femelle et objet dard,
moulages et contre-moules de vulve et vagins effectué par Marcel Duchamp.
La symétrie et l’inversion ne sont pas que le fait de Duchamp ; Vinci écrit à l’envers ; Duchamp peindra sur verre, travaillera sur calque ; ses oeuvres peuvent se voir ainsi inversées12, .
L’ inversion des syllabes est constante chez Duchamp :marchand de sel, célibataire, enameled, R.Mutt etc….
Cette physique de la vie, mécanique fantastique, l’infini dans le fini, rapproche aussi du Bœuf écorché de Rembrandt, par la scrutation étonnée des organes.
Les mêmes procédés de superpositions et d’inversion fonctionnent encore pour les deux oeuvres : le coït de Léonard de Vinci figure 17 et le passage Virgin to brid ede Duchamp. J’ai effectué une symétrie des figures de Vinci en les faisant coïncider avec les formes pénétrantes du Duchamp. De manière claire, il reprend l’oblique et les tensions du phallus en érection ( a pole in air- ces b….. à l’air)( le même angle que les pics du porte-bouteilles) y compris les gouttes d’éjaculation dessinées par Vinci, sur le même croquis.
Duchamp refera cette éjaculation avec les 9 coups tirés, utilisant un petit canon à ressorts – figure phallique en érection- qu’il dirige vers la partie supérieure du Grand Verre ( le domaine de la Mariée) afin de lancer des allumettes trempées dans la peinture. Les 9 petits points de rencontre, pénétrant au hasard dans le nuage ou les pistons de courants d’air de la mariée.
La canalisation des flux est une question récurrente chez Vinci, depuis les constructions réelles de canaux dans les plaines italiennes aux projets de canaux pour Romorantin centre du monde. Chez Duchamp, les filtres à poussière, les tubes d’échappement du liquide épais des Moules Mâlics procèdent des mêmes idées.
Mais de ces évidentes proximités et lectures, aucune trace ou presque dans les écrits de Duchamp, ni dans ses entretiens. Si ce n’est de manière cryptée et inversée, jamais révélée.
Il me semble clair que Duchamp ait vu et compris Vinci ainsi ; il procède avec Vinci comme avec les objets qu’il choisit de faire rentrer dans son monde ; il readymade Vinci.
Idéal
Comme la plupart des surréalistes, Duchamp effectue une opération de substitution très marquée par l’air du temps des années post-guerre mondiale : la divinisation de l’univers féminin, absout de toute responsabilité dans la catastrophe phallocratique et patriarcale du monde bourgeois hérité du 20ème siècle ; monde du Patron- du Père ( Dieu et les prêtres) – de la Patrie – du Patriarche – du Colon paternaliste et fouettard…..culture occidentale caricaturale, ayant évacué le féminin au 19e siècle .
C’est le propos clair des Breton ( l’amour fou-Nadja) , Aragon ( les yeux d’Elsa– la femme est l’avenir de l’homme) , Eluard, Dali et Gala., Bunuel ..etc
Le monde masculin correspond à l’ ananké, au principe de nécessité, aux contraintes et fonctions terrestres et anecdotiques ; monde des corps mécaniques ; monde des soumissions terre à terre.
Le monde féminin est associé de manière forcée, au nirvana, principe de plaisir, à la nature, au primitif, au sauvage, à l’enfance, au vivant, à l’éternité ( Matisse reprend le mythe des luxe, calme et volupté), à la légèreté, à la grâce, à l’irrationnel, au jeu, au plaisir, à la beauté……
Le freudisme influence de manière déterminante cette période.
Cette divinisation sera aussi comme une prison dorée pour les « vraies » femmes, peu soucieuses de se voir confinées à des rôles choisis pour elles.
Mais Duchamp, reprend de manière magistrale, la mise en scène chrétienne de la Renaissance du rapport de l’humain et du divin.

Raphaël et Perugin ont tous deux explicitement associé, mariage de la vierge,divinité, architecture, point de fuite et construction géométrique plane ; le pseudo ready made de la roue de bicyclette ( les exégètes semblent toujours oublier le tabouret et l’inversion de sens) est clairement un rapport entre cercle et carré, points de contacts, haut/bas etc…Exactement comme dans le Grand Verre ; Duchamp est un des rares artistes du XXe s. à utiliser la perspective avec une dimension signifiante ; il serait faux de l’ignorer. Cette superposition corrobore me semble t-il ce propos.
En effet, dans la peinture de la Renaissance ( depuis Piero della Francesca et Angelico, comme Van Eyck) la terre, rejoint le ciel à l’horizon ; c’est à dire une réalité inaccessible et évanescente ; sur cet horizon, le centre est le point de fuite le point de fuite est ce qui permet d’’ordonner les constructions et représentations de rejoindre l’’horizon sans s’égarer. Le point de fuite est porté par l’horizon comme Jésus est porté par Marie.13
Il est commun au ciel et à la terre, comme Jésus ; il est évanescent ( vanishing point) comme Jésus ; il est origine et but ( comme Jésus).14
Revenons à la Cène de Léonard, ou l’identification est claire entre Jésus et le point de fuite.
Nous arrivons donc à cette substitution géniale de Duchamp, car dans le Grand Verre, il y a un point de fuite, exactement entre les deux domaines : celui des célibataires ( en bas) et celui de la Mariée ( en haut).
Le domaine des célibataires est en perspective extrêmement rigoureuse ( prodiges des ellipses des témoins oculaires, des formes tronconiques de la broyeuse, des déformations de la roue du moulin).
Ainsi, le point de fuite est le point d’origine ( origine du monde) du domaine masculin, mais aussi point de désir et de tension, toutes les lignes de fuites y convergeant ( con-verge).
Ainsi, comme dans la tradition chrétienne, les humains cloués à la terre, peuvent tendre vers le divin, en ordonnant la terre ; les humains masculins ( les moules mâlics) peuvent désirer et tendre vers le féminin.
Si la perspective le promet comme ordre des choses et du monde, le domaine masculin ne rencontre de fait jamais le domaine féminin. Sauf par une approche physique, directe, instantanée et triviale, celle de la génitalité des coups tirés.
Ce sont des points, non de fuite mais de contact, piteux et hasardeux mais biens réels , n’atteignant pas forcément leur but. Ces coups tirés au petit canon ( jeu d’enfant vu dans une vitrine – grand verre – désir) .On ne reprendra pas l’ensemble de la mécanique complexe du Grand Verre ( la mariée mise à nu par ses célibataires), mais cette structure de perspective ordonnée est clairement reprise des œuvres majeures de la Renaissance et de Vinci bien sûr.
Epuiser Duchamp comme Vinci serait vain ; il y a néanmoins une chose qui me semble capitale, c’est de rendre à Duchamp une cohérence sémantique et plastique ; il est un grand plasticien ; ce n’est pas seulement l’artiste de l’attitude et du concept, il est l’un des plus formel de tous les artistes du XXème siècle. C’est l’observation attentive et curieuse des moindres objets et des œuvres qui l’entourent qui l’emmène à se les approprier.
Une grande différence subsiste cependant sur le fond même de l’esthétique ; autant Vinci est en quête d’idéal fusionnel, autant au contraire Duchamp ne cesse de baliser les césure/coupures/séquences/parois/sections entre les pôles qu’il repère.
Etant donné : grand 1/grand 2….le noir/le blanc, le masculin/ le féminin, le haut/ le bas, l’intérieur/l’extérieur, le pur/le souillé, la chute/l’élévation, le proche/le lointain, le dense/le diffus….
Toute l’oeuvre de Duchamp est dans le dialogue décalé entre ces pôles, comme dans le jeu d’échec où il y a toujours un écart, un retard, un décalage entre un coup et celui du partenaire…
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Une étude longue et prolongée de son œuvre posthume étant donné, pourrait prolonger les pistes indiquées par cet article.
Quel éclairage incroyable et savant que vous apportez là! Passionnant.