Première publication ( en cours de rédaction), d’un cours effectués à Orsay ( U.Psud) et Melun ( Université Inter Age), en 2017 et 2018.
Les « statues-couples » en Egypte antique se retrouvent durant toute la durée de cette incroyable civilisation. Quelle que soit la dynastie, et même, pendant le schisme Amarnien ( Amenophis4/Akhenaton).
Modèle unique de représentation d’un homme et d’une femme, traités à égalité stricte, tant dans les dimensions, que les postures.
Ce principe de représentation concerne encore, aussi bien les couples royaux que les couples de fonctionnaires , de scribes..
Bien entendu, comme une grande partie des sculptures égyptiennes, il s’agit d’oeuvres funéraires.
Le modèle est pérenne : un couple, debout ou assis ; se tenant par des gestes naturels et délicats ( bras autour de la taille, mains posées sur les genoux, bras sur les épaules …).
Ces oeuvres sont emblématiques d’une culture fondée sur la complémentarité nécessaire d’une part et sur le culte obsessionnel de la préservation du vivant et de tout ce qui permet l’émergence du vivant.
les références les plus claires, sont chez : Christiane Desroche-Noblecourt, » Amours et fureurs de la lointaine », (Stock, 1995) .et Gay Robins, « Woman in ancient Egypt », ( ed British Museum, 1993).
Couples de référence. Il y a continuité stricte du modèle divin/royal aux couples réels, vivants et profanes. Les couples mythiques, tels Isis/Osiris et Amon/Mout sont les modèles incarnés sur terre par les couples royaux . L’union du roi et de la reine ( parfois frères et soeurs – mais les termes ne désignent pas forcément une véritable fratrie- dans le sens où ce sont des alter-egos) est célébrée selon le même modèle de statues couples.
Il existe aussi de nombreuses « triades » Le roi associé à des divinités protectrices le plus souvent.
Même dans ce cas, celui des divinités comme celui des rois et reines, les visages sont des portraits d’individus et ne sont pas des stéréotypes.
Ci-dessous, une variation exceptionnelle de ce modèle dual et invariant, adaptés à des personnalités, des histoires et des corps singuliers.
Autre fait unique dans cette continuité, c’est l’adaptation à des époques et des styles différents. Il s’agit donc bien d’une idée avant tout, d’un principe, d’un concept incarnés en des humanités bien vivantes.
Amarna. Une preuve de la force de ce principe unifiant du masculin et du féminin est donnée pendant la période de rupture religieuse et stylistique d ‘Amenophis4 mutant en Akhenaton, mais préservant avec son épouse Nefertiti le principe complémentaire, comme on peut le voir ci dessous.
Statues avec enfant. Le modèle de statue couple permet d’introduire des variables, avec parfois la présence de la progéniture ( enfant natté, garçon et/ou fille) . Le doigt sur la bouche indique la nécessaire retenue de l’enfant ( in-fans : qui ne doit pas parler), mais aussi la continuité du vivant.
Autre élément remarquable, la diversité des matériaux. Toutes sortes de pierres, de roches et parfois de bois. Ceci indique, et ce dans tout l’art égyptien, l’idée de maîtriser subtilement tous les matériaux .
Continuité. L’une des notions fondamentales se trouve exprimée avec force et continuité dans les postures des couples. Solidaires et complices, souvent avec affection et tendresse ( position des mains et proximité), mais ce qui est le plus déterminant et qui se retrouve dans l’ensemble de la statuaire égyptienne, c’est la frontalité des figures et leur émergence depuis un socle.
L’idée qui se dégage de cette disposition est claire. D’un bloc homogène et géométrique, image d’une éternité, assimilable au désert et au soleil constant ( Râ), émergent des figures nouvelles, uniques et singulières elles sont le fruit de la rencontre avec l’instant et l’éphémère, qui dans la mythologie égyptienne est le flux bénéfique et changeant du Nil.
Toute vie, toute naissance, est la rencontre de ces 2 principes ; mais une fois apparue, le monde vivant, à la fois capable de penser et de s’inscrire dans la durée, est aussi frappé de fragilité par la mort et la décomposition.
Il s’agit donc, de préserver de la disparition toute forme de vie. Le dos appuyé aux formes géométriques et pérennes, les figures font face, souriant à l’avenir singulier.
On retrouve cette interface, redoublée d’ailleurs, dans le principe du masculin et du féminin. C’est d’ailleurs pourquoi il n’y a pas de hiérarchie, ni de domination, puisque la dissociation de toute force et stérile : la terre sèche et le soleil, sans l’eau fluide et renouvelée ne donne rien, tout comme une eau pure, sans limon serait stérile.
Hérodote disait bien que l’Egypte était un don du Nil..Ce que les égyptiens honoraient depuis des millénaires.
Diversité. En regardant ces statues, on repère aussi une grande diversité de types physiques, tantôt orientaux, puis subsahariens ( numides) ou encore sémites. On retrouve d’ailleurs cette diversité dans les peintures et fresques.
Homogénéité sociale. Si tous les égyptiens ne bénéficiaient pas d’une statuaire pour leur sépulture, on sait que de toutes ces statues couples, un grand nombre ne représentent pas des rois et reines, mais des couples de notables, scribes, fonctionnaires et/ou artisans fameux.
Singularités. Les exemples ci-dessous, sont de parfaits modèles de l’idée gouvernant la statuaire égyptienne de façon générale, à savoir l’extraordinaire prise en compte, grâce à un cadre unifiant, des singularités. Le « canon » égyptien n’est pas un idéal, c’est un cadre permettant d’intégrer tous les aspects, les occurrences d’un mode d’existence. Ainsi, les différences de taille, entre l’homme et la femme, ne sont pas niées, elles se combinent parfaitement et de façon émouvante avec le principe du couple équitable.
Variations. Les statues couples de même genre existent également, mère/fille et sœurs et parfois peut être « amies »..Ce sont semble t-il des couples féminins à chaque fois.
Au delà des figures emblématiques de ces statues couples, on retrouve très souvent la représentation d’activités partagées entre hommes et femmes, du labeur au loisir comme au pouvoir.
Vraisemblablement, la tradition mésolithique des cultes bovins, repérable dans toute l’Afrique du nord et le croissant fertile ( voir l’article sur Catal Huyuk) est associée à des cultes féminins de déesse mère/terre/fécondité/ mais aussi force et accompagnement du vivant, d’une manière plus large. Ces cultures dissocient clairement les bêtes sauvages et indomptables ( grands félins, rhinocéros) des grands ruminants apprivoisables. Il est maintenant quasiment certain que la sécheresse détruisant les vallées fertiles et vertes du Tassili, va pousser les populations à migrer vers le Nil, vers la fin du mésolithique.
Je ne peux m’empêcher de voir associées les silhouettes féminines égyptiennes de la culture « Nagada » ( mésolithique égyptien) aux figures naissantes évoquant un crâne bovin de cette même culture. ( plus ou moins 4000bc).
On retrouve très tôt dans le panthéon égyptien, des associations féminines, bovines et cosmiques, comme la grande vache du ciel, mutant en déesse Nout, voute céleste, avalant et accouchant du soleil.
La vache est encore associée très tôt dans la culture égyptienne, à la fécondité extraordinaire du Nil et des ses cycles saisonniers, assimilés aux cycles menstruels ( les eaux rouges et fertiles du Nil débordant.) La première et archaïque figure bovine est Hésat, que l’on voit ici allaiter un humain et traverser les roseaux.
De façon étrange, on retrouve aussi une figure comme celle de Taouret, déesse hippopotame, associée au fleuve et aux mamelles remarquables ; cette silhouette peut de même être rapprochée des figures paléolithique de déesses primitives, comme transposées dans le bestiaire égyptien.
Le dieu masculin Bes, est aussi une figure primitive associée aux marais, à la fertilité et à la fécondité ; certains y voient une préfiguration des Bacchus et satyres ; dieux paysans, populaires et marginaux, exclus des principes idéalisés de représentation ( comme toute le tradition Dyonisiaque). Le dieu Bes, est le seul à être représenté de face et sur un corps difforme ; comme une part maudite et nécessaire du vivant, associé aux fonctions corporelles triviales, au ventre, au mou, à la libido etc..De même , les satyres seront mi humains, mi boucs.
Les stèles de Kadesh, reprennent très clairement les figures mésolithique du proche-orient, à savoir les figures féminines de face ( modèle oriental), domptant le félin sauvage, déesse des astres, lune et soleil et tenant les plantes domestiquées. On peut rapprocher cette déesse de la figure Babylonienne divine d’ Ishtar ( voir l’article précédent). On repère sans mal, le culte bovin, par les cornes enchâssant le soleil. Ces figures sont honorées du dieu en érection et du roi. Nous verrons dans un autre article, la continuité de ce type de figure dans la déesse Babylonienne Ishtar et dans les suites anatoliennes de Artémis d’ Éphèse.
Déesses égyptiennes….Moût, Hathor, Isis… Figures très puissantes du vaste panthéon, elles sont le signe de la constante complémentarité de genre des puissances honorées en Égypte. Ainsi les modèles divins n’obéissent pas à une hiérarchie et toutes les forces vitales sont honorables, quels qu’en soient les genres et sexes. Assez clairement toutefois des déesses associées à la fertilité et à l’abondance. Nourricières et protectrices, elles sont aussi puissantes et ne sont pas enfermées dans des figures exclusives de maternité.
Hathor est le modèle premier et tout puissant identifié à une grande Vache ( après la grande vache du ciel). Traversant les roseaux, annonçant la crue du Nil et l’abondance, cette figure bovine semble être dans la continuité des figures et des déesses archaïques observées dans les temps mésolithiques et bovidiens. On peut sans doute rapprocher cette vénération pour les grandes vaches des peintures africaines du Tassili, de Somalie et d’Anatolie..
On retrouve aussi Hathor, sous une forme humanisée e trônant, reprenant encore la figure des déesses primitives trônant, comme celle de Catal Huyuk entre-autres.
La fusion d’ Hathor et d’Isis est courante et l’identification n’est pas toujours aisée, on les retrouve trônant, avec les cornes enchâssant le soleil, allaitant parfois Horus.
Et chose exceptionnelle et symptomatique, on retrouve aussi Isis, allaitant, trônant, assimilé au culte bovin ET domptant des animaux sauvages flanquant son trône…Comme la déesse de Catal Huyuk…..
Isis, toute puissante reste souvent associée à la silhouette nourricière d’ « Isis lactans », mais on la voit ci dessous, assimilée à un arbre allaitant. Isis est donc aussi associée aux plantes et n’est pas qu’une figure maternelle.
Le plus grand temple dédié à Isis est celui de l’île de Philaé. Sur cette île est aussi édifié un temple à Hathor. Ile au coeur du fleuve fécond, l’association du principe féminin au Nil semble patente. Union de la terre et de l’eau.
Harmonie. De fait, la grande idée expliquant peut être l’exception égyptienne dans les temps néolithique est sans doute celle de la propriété collective des terres. La terre et les biens sont partagés et travaillés en commun ; ne sont pas les propriétés de petites tribus et/ou familles. Il semble qu’il n’y ait pas d’appropriation du vivant, de possession. Ailleurs, dans toutes les civilisations néolithiques, l’agriculture et la domestication des animaux se traduit par l’idée de possession, de domination et de hiérarchisation du vivant (femmes/enfants/esclaves/otages/bétails/plantes). Ainsi on comprend sans doute l’égalité de traitement des principes masculins et féminins, en acte dans les couples royaus et dans le panthéon et manifestes dans la statuaire des couples.
On retrouve la célébration de la diversité du vivant à toutes les étapes de la représentation. Statues, objets, maquettes, peintures et bas-reliefs. La diversité des peuples constituant la « nation » se retrouve souvent célébrée.
Nous avons surtout ici abordé les principes féminins, dans la continité des artciles précédents et parce que l’Egypte antique est une exception culturelle positive, mais bien entendu les figures divines masculines sont puissantes et variées ( Ra, Horus, Osiris, Apis etc..). Par exemple, Apis est comme une variante mâle d’ Hathor. Figure taurine que l’on peut sans doute rapprocher des grands taureaux et des bucranes de Catal Huyuk.
Nous revenons ci-dessous aux triades célèbres, extension du modèle des statues couples, intégrant des divinités protectrices. Notons que ces figures opèrent selon un même mode de disposition et de postures comme de gestuelles.
La momification obéit aussi à une dissociation des principes du « pérenne » et de « l’éphémère », ou encore du dur et du mou, du sec et de l’humide….
Il s’agit avant tout, la encore de préserver ce qui est né; à savoir un individu. Préserver et retenir en ce monde et pour l’éternité ce qui a émergé.
La momification préserve ce qui est dur ( os/Peau/cheveux/chair/ corne) et protège en le dissociant ce qui est fragile, fluide et mou ( viscères/fluides/organes), retouvant ici l’idée que la vie est la rencontre éphémère de ces réalités associées au soleil/désert/dur et l’eau/fluide.
Tous les êtres vivants ( y compris les plantes) associent dans leur corps, le sec et l’humide et c’est cette rencontre qui est le principe vital.
Le souffle, la parole, la pensée ;autres fluides méritent d’être préservés par l’écriture.
Les vases canopes , qui contiennent les humeurs et organes mous sont sous les auspices de divinités féminines, dont Isis.
Pour repères, on retrouve des statues couples funéraires dans la tradition étrusque, contemporaine de l’Egypte antique.
La tradition du portrait funéraire semble se prolonger en Egypte, dans les peintures mortuaires du Fayoum, associées aux sarcophages et perpétuant l’art du portrait individuel, plein de vie.
Beaucoup plus rares dans des sociétés hiérarchisées et plus archaïques, les statues couples se rencontrent parfois .
Perpétuation notable, les statues couples de tradition africaine sub-saharienne. Sans doute faut-il voir dans la force de l’animisme, l’idée qu’il n’y a pas de hiérarchie du vivant.