ANIMAUX, dans l’art moderne et contemporain (aperçu)

En se dégageant progressivement du prisme religieux, le rapport au monde animal retrouve une grande variété, du naturalisme émerveillé et pensant déjà l’observation de la nature comme un devoir (Dürer), on voit comment dans les Provinces Unies (Flandres) le monde animal est associé à l’abondance d’une part, mais aussi à cette part maudite de la chair, de la nécessité, de la nourriture, qui peut éloigner de l’esprit ; ambigüités de ces étonnantes peintures autour de la figure de Ste Marthe ; les regards des mammifères sacrifiés, humanisant leur mise à mort pourtant nécessaire et répudiée, paradoxalement ici rapportée au premier plan.

Les questionnements métaphysiques et esthétiques de Titien et Ribera, sur la part animale de l’humanité, sous la forme des satyres écorchés par ApollonTITIEN, Apollon écorchant Marsyas sont à l’image du 16e et 17e siècles troublés par les désordres survenant dans un monde jusqu’à présent réglé (guerres de religions, bouleversements cosmologiques).17e siècle, l’espace2 -Jacob Jordaens, le vide, le mou, le plein.

Une nouvelle approche émerge, qui est celle de la démarche scientifique, qui semble naître avec Anna Merian, comme plus tard Audubon et les voyageursCARNETS de VOYAGE. 3. Explorations.

Ceyye approche empirique et modeste, longtemps exclue du domaine des beaux arts, peut être reconsidérée, tant sont soignées et pensées, ces planches animalières. Le monde s’ouvrant aussi aux continents nouvellement découverts, il y a là un phénomène de curiosité que l’on retrouvera avec Darwin, Wallace et Haeckel au 19e siècle.

La curiosité et le spectacle, sont déjà à l’œuvre chez Tiepolo et Longhi par exempleGian-Domenico TIEPOLO, Mondo Nuovo, comme divertissements d’un monde finissant.

Cette fin de monde, sentie par Chardin et Goya les amène à se recentrer avec compassion sur l’animalité innocente, là où les humains sont comme irresponsables ; les animaux morts de Goya, Chardin et Géricault évoquent une vie mystérieuse , une présence charnelle, physique et sensible ; on interroge ici la chair et le corps, continuant en quelque sorte les interrogations de Rembrandt.

Cette vie animale est aussi métaphore de la liberté pour Géricault, les chevaux, parmi les premiers animaux domestiqués, retrouvent ici une liberté emblématique pour cette génération orpheline de ses utopies (le romantisme français). Pour les romantiques entre autre, l’animalité est un grand « ailleurs » mystérieux, insondable et fascinant, comme la mort, la folie, la mer, le passé ; autant de dimensions effrayantes et/ou désirables pour ces générations éloignées de la religion, qui découvrent l’infini en soi et la puissance de la nature.Théodore GERICAULT, les Monomanes

Courbet, prolonge ce regard, sans la fougue solitaire, mais avec la contemplation et la compassion pour la bête libre et traquée, vaincue ; il y a peut être chez lui, une métaphore du corps social « travailleur », entravé et sacrifié par le siècle de l’industrie et de la violence sociale. Il compte aussi rappeler dans la société de plus en plus industrielle et moderne, la force du monde animalGustave COURBET, le veau blanc. Rosa Bonheur exprime avec une virtuosité inégalée, une passion pour cette nature humble des bovins et chevaux, simplement magnifiques de force ; elle met la science académique au service d’un point de vue naturaliste, défendant une France rurale et essentielle.

Les caricaturistes convoquent l’animalité comme dépréciative et insultante, antisémite essentiellement, associant scatologie, régression et grotesque au monde animal des singes, chiens et porcs ; le talent au service d’une infamie.

On retrouve au 20e et 21e siècle une diversité d’approches, significatives de l’explosion culturelle , scientifique, politique et esthétique de cette modernité.

Au cri rageur et violent des expressionnistes allemands du « cavalier bleu » de nombreux artistes, comme Pompon, Matisse,Henri MATISSE, les poissons rouges Brancusi, Calder Alexandre CALDER, le Cirque, 1926semblent proposer une paix sereine et exemplaire des silhouettes épurées et légères.

Francis Bacon exprime un corps à corps existentiel avec notre propre nature animale dans ses corridas au centre d’arènes romano-nazies ; Jean Dubuffet retrouve une admiration primaire et première pour les surfaces et corps animaux ; Gilles Aillaud interroge somptueusement la conditions des animaux dans les parcs zoologiques, questionnant notre avidité et curiosité pour le spectacle et le divertissement au prix de la dégradation animale. Joseph Beuys dans des performances ritualisées, ainsi que Annette Messager tentent de ramener l’animalité palpitante du coyote, du lièvre et des oiseaux au cœur de nos vies artificialisées ; réflexions sur la mort.

L’humour grinçant de Wim Delvoye retrouve une truculence flamande pour interroger notre rapport au corps fétichisé de façon parfois narcissique avec le tatouage, signes de tribus contemporaines.

Louise Bourgeois et d’autres encore prouvent que le monde animal, miroir de nos vies humaine est aussi un registre de formes inépuisable et se traduisant dans des volumes à la fois étranges et familiers.

Joshua Allen Harris, avec ses sculptures éphémères, animées ( anima = âme, souffle, mouvement) par le souffle du métro newyorkais propose une présence surprenante et mélancolique de ces chiens et chimères qui se dressent lentement, oscillent et s’effondrent progressivement au cœur du monde minéral et urbain.

Ceci n’est qu’un aperçu de quelques approches. On aurait pu (et du) explorer les oiseaux surréalistes de Leonor Fini, Max Ernst et Magritte par exemple.

A propos Olivier Jullien

Intervenant dans le domaine des arts plastiques, comme enseignant, praticien ( peintures-graphismes) et conférencier.
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